[Traduit de l'anglais]

Discours sur le logiciel libre (2004)

Ce discourq a été donné le 17 février 2004 à l'Institut National de Technologie, Trichy, TN, Inde


[MOC] : Nous allons commencer avec la session de vidéo-conférence dans un petit moment. Que l'assistance veuille bien noter que les questions devront être inscrites sur un bout de papier et être remises au bureau du MOC.1. Il y a des bénévoles tout autour qui attentent avec du papier, aussi veuillez l'utiliser pour poser vos questions. Le Dr Richard Stallman a un problème d'audition et par conséquent ne sera pas à même de comprendre vos questions orales.

Mesdames et Messieurs, je me sens privilégié d'avoir l'occasion de vous accompagner lors de cette session matinale, qui lance la tendance de plusieurs manières. C'est la première fois dans l'histoire du NIT de Trichy qu'une vidéo-conférence va avoir lieu. Et l'association ECE2 est fière de prendre cette initiative. Cela n'aurait pas été possible sans la vision d'avenir et le dur labeur du personnel ces dernières années. Nous espérons que cette initiative sera la première d'une longue série et que du bon travail s'ensuivra dans les années qui viennent.

Le logiciel, produit de la révolution numérique, est un peu comme de la magie. Des centaines de copies d'un logiciel peuvent être faites en touchant un bouton. Des morceaux de code peuvent être copiés et utilisés dans un autre programme sans beaucoup d'effort. Ceci et beaucoup d'autres propriétés font de lui un animal entièrement différent, un animal sauvage qui ne se plie pas aux lois conventionnelles du droit d'auteur. Mais certaines personnes, dans leur propre égoïsme, ont apprivoisé cet animal et privé la société de ses avantages.

Au milieu d'elle s'est dressé un homme qui a juré de rendre aux usagers de l'informatique leur liberté perdue. Il a montré au monde, non pas avec des mots mais par son action, qu'il est possible de produire du logiciel sans que les utilisateurs renoncent à leur liberté. Un homme qui n'a pas besoin d'être introduit mais doit néanmoins être présenté par pure formalité. En 1984, le Dr Richard Stallman a fondé le projet GNU, dans le but de développer le logiciel d'exploitation libre GNU et ainsi redonner aux utilisateurs de l'informatique la liberté que la plupart d'entre eux avaient perdue. GNU est un logiciel libre. Chacun est libre de le copier, de le redistribuer, comme d'y apporter des modifications, grandes ou petites.

Le Dr Richard Stallman est sorti d'Harvard en 1974 avec un BA en physique. Pendant ses années d'université, il a également travaillé dans l'équipe des hackers du laboratoire d'IA du MIT, apprenant au passage le développement de systèmes d'exploitation. En 1984, il a démissionné du MIT pour lancer le projet GNU. Pour son travail, il a reçu de nombreux prix et récompenses qu'il n'est pas nécessaire de mentionner.

Aujourd'hui les systèmes basés sur Linux, variantes du système GNU basées sur le noyau Linux développé par Linus Torvalds, sont largement utilisés. On estime à environ 20 millions le nombre d'utilisateurs de systèmes basés sur Linux aujourd'hui. Et ce nombre s'accroît à un rythme sans précédent.

Mesdames et Messieurs, rencontrez l'homme, le moteur du mouvement du logiciel libre, le Dr Richard Stallman. [applaudissements] [silence]

[RMS] : Dois-je commencer ? [silence]

M'entendez-vous ? [silence]

Veuillez lever la main si vous ne pouvez pas m'entendre. [silence] Bon, si les gens pouvaient être un peu plus silencieux s'il vous plaît, je pense que je pourrais commencer.

[MOC] : Que l'assistance veuille bien garder le silence. Merci.

[RMS] : Ou peut-être que c'est juste le système qui génère du bruit. Je ne peux pas dire, je ne peux pas entendre si ce sont les gens qui parlent ou si c'est un artefact du système de communication. Dans ce qui me parvient, il y a surtout beaucoup de bruit. Baissez juste un peu le volume, je verrai comment faire. Il semble que je n'aie pas de commande pour ça. Ne vous inquiétez pas. Ne l'arrêtez pas cependant. Baissez juste un peu.

Je veux savoir ce qu'il se passe dans la salle de manière à pouvoir vous entendre, mais le volume semble juste un peu trop fort, du coup le bruit de la pièce devient énorme.

OK. Voyons. [silence] Bien, je suppose que je vais commencer, si c'est ce qu'il faut faire. Mon discours aujourd'hui… Bon, c'est le moment de commencer ? Ou alors, les gens arrivent encore dans la salle, est-ce qu'il faut que j'attende quelques minutes de plus ?

[MOC] : Monsieur, nous pouvons commencer.

[RMS] : Je vois des gens entrer. J'attendrai que ces personnes entrent et s'asseyent.

[MOC] : Monsieur, il se fait tard, je pense que nous pouvons commencer.

[RMS] : OK. Qu'est-ce que le logiciel libre ? Le logiciel libre est un logiciel qui respecte la liberté des utilisateurs. Cela n'a rien à voir avec le prix, tout du moins pas directement. Je ne parle pas d'un logiciel gratuit. Je ne veux pas dire un logiciel que vous obtenez sans payer ; c'est vraiment une question secondaire qui n'est pas particulièrement pertinente.3 Je veux dire un logiciel que vous pouvez utiliser en toute liberté, un logiciel qui respecte les libertés de l'utilisateur. Je devrais être plus précis. Quelles sont ces libertés dont je parle ?

Pour qu'un programme soit un logiciel libre, vous, en tant qu'utilisateur, devez avoir quatre libertés spécifiques. Il y a la liberté zéro, celle d'exécuter le programme, à n'importe quelle fin et de n'importe quelle manière. Il y a la liberté 1, celle d'étudier le code source, pour voir ce que le programme fait vraiment, et ensuite le modifier pour faire ce que vous voulez. Il y a la liberté 2, celle d'en distribuer des copies à d'autres, autrement dit la liberté d'aider votre voisin. Et enfin il y a la liberté 3, celle d'aider à établir votre communauté, c'est-à-dire celle de publier une version modifiée de sorte que d'autres puissent bénéficier de votre contribution.

Toutes ces libertés sont essentielles. C'est une erreur d'y penser en termes de niveaux de liberté, parce que toutes quatre doivent être présentes pour que le logiciel soit légitime du point de vue éthique.

Pourquoi ces libertés particulières ? La liberté zéro est essentielle pour que vous puissiez avoir le contrôle de votre propre ordinateur. Si vous n'êtes pas libre d'utiliser le programme à n'importe quelle fin et de n'importe quelle manière, l'utilisation de votre propre ordinateur est restreinte. Mais la liberté zéro n'est pas suffisante pour avoir le contrôle de votre ordinateur, parce que s'il n'y a rien de plus vous ne pouvez pas contrôler ce que fait le programme.

La liberté 1 est essentielle. Elle vous permet de voir personnellement ce que le programme fait vraiment et ensuite d'opérer des changements pour qu'il fasse ce que vous voulez vraiment. Si vous n'avez pas la liberté 1, alors vous ne contrôlez pas ce que fait votre ordinateur. Le développeur contrôle ce que le programme va faire sur votre ordinateur et vous n'avez aucun recours.

En fait, il n'est pas inhabituel pour un développeur d'intégrer des dispositifs malveillants. Ce sont principalement les développeurs de logiciels non libres qui le font, car ils supposent que vous ne pourrez pas les enlever. Ils pensent qu'ils s'en tireront, puisque vous êtes impuissant. Il est très courant que les programmes non libres espionnent l'utilisateur. Et ils pensent que vous ne serez pas capables de dire qu'ils vous espionnent parce que vous ne pouvez pas avoir le code source ; comment sauriez-vous ce qu'ils rapportent sur vous ? Nous avons découvert quelques cas de programmes espions. Par exemple, Windows. Il y a 3 ans il y a eu un scandale parce que Microsoft avait configuré Windows pour qu'il rapporte ce qui était installé sur votre disque dur. L'information était renvoyée à Microsoft. Cela a fait scandale ; il y a eu un tel tollé que Microsoft a enlevé cette fonctionnalité… puis l'a remise d'une manière déguisée.

Il y a environ un an, quelques développeurs… quelques chercheurs ont découvert, ont compris que Windows XP, quand il réclame une mise à jour, rapporte à Microsoft ce qui est installé sur votre disque. Et il le fait secrètement. Il envoie la liste des fichiers de manière chiffrée, de sorte qu'il est impossible aux gens de savoir facilement ce qui se passe. Les chercheurs ont dû travailler dur4 pour déterminer quelle information Windows renvoyait à Microsoft. Mais Windows n'est pas le seul logiciel – le seul logiciel non libre – qui vous espionne.4 Windows Media Player vous espionne également. Chaque fois que vous ouvrez un fichier, il envoie un rapport à Microsoft pour dire ce que vous regardez. Real Player le fait également. Ainsi Microsoft n'est pas le seul développeur de logiciel non libre coupable de maltraiter ses utilisateurs de cette façon particulière. Le TiVo5 vous espionne également. Certaines personnes sont enthousiastes à propos du TiVo parce qu'il est basé sur GNU et Linux dans une certaine mesure.

Mais il contient également du logiciel non libre. Et il est conçu pour vous espionner et rapporter ce que vous regardez. On m'a dit qu'il y a beaucoup d'autres programmes qui sont des « espiogiciels » [spyware]. Ensuite, il existe des programmes qui font d'autres choses déplaisantes. Par exemple il y a des programmes qui reconfigurent votre ordinateur, qui par exemple vous afficheront des publicités tout le temps. Et ils ne vous disent pas qu'ils installent ce programme qui affichera ces publicités. Ils pensent que la plupart des utilisateurs ne vont pas le remarquer, qu'ils ne seront pas capables de le comprendre. Ils supposent que vous installerez plusieurs programmes sans savoir lesquels auront changé la configuration de votre ordinateur, ou que vous ne saurez pas comment les enlever. Naturellement, si c'était du logiciel libre ça pourrait s'arranger – j'y reviendrai dans un instant. Mais parfois c'est pire. Parfois les programmes présentent des dispositifs conçus pour vous empêcher de faire certaines choses. Les développeurs de logiciel parlent volontiers de la façon dont leurs programmes pourraient faire des choses pour vous, mais parfois ils conçoivent des programmes qui vous empêchent de faire certaines choses. On appelle souvent ceci DRM (gestion numérique des restrictions) ; ces programmes sont conçus pour vous refuser l'accès à des fichiers, pour refuser de vous laisser les sauvegarder, ou les copier, ou les convertir.

Encore plus bizarre, il y a un dispositif malveillant dans Kazaa, le programme de partage de musique, au moyen duquel la société… les développeurs vendent du temps de calcul sur votre ordinateur. Ainsi, d'autres personnes paieront Kazaa pour qu'ils puissent exécuter leurs programmes sur votre ordinateur. Ils ne vous payent pas vous. En fait, c'était tenu secret. Les développeurs de Kazaa n'ont pas dit aux utilisateurs : « À propos, nous allons vendre du temps sur votre ordinateur. » Les gens ont dû le découvrir par eux-mêmes.

Je vous donne les exemples dont j'ai entendu parler. Mais vous ne savez jamais, quand il s'agit d'un autre programme non libre, s'il contient quelque dispositif secret malveillant. Le problème, c'est que vous ne pouvez pas obtenir le code source. Sans la liberté 1, la liberté de vous aider vous-même, d'étudier le code source et de le modifier pour faire ce que vous voulez, vous ne pouvez pas dire ce que le programme fait vraiment. Vous ne pouvez que faire confiance aveuglément au développeur. Le développeur dit : « Le programme fait ça. » Vous pouvez le croire, ou non.

Naturellement, tous les développeurs de logiciel non libre n'y mettent pas de dispositifs malveillants. Certains font vraiment sincèrement leur possible pour y mettre des fonctionnalités qui satisferont l'utilisateur. Mais ils sont tous humains et ils font tous des erreurs. Ces erreurs s'appellent des bogues. Bon, nous les développeurs de logiciels libres, nous sommes également humains et nous faisons aussi des erreurs. Nos programmes présentent aussi des bogues. La différence, c'est que si vous avez la liberté d'étudier le code source ; vous pouvez trouver tout ce qui ne va pas dans le programme, notamment si c'est un dispositif malveillant délibéré ou un accident. Dans les deux cas vous pouvez le trouver et arranger le programme pour vous en débarrasser. Vous pouvez améliorer le programme. Avec du logiciel non libre vous êtes complètement impuissant, mais avec du logiciel libre vous avez le pouvoir sur votre ordinateur ; vous le contrôlez. Mais la liberté 1 n'est pas suffisante – c'est la liberté d'étudier personnellement le code source et ensuite de le modifier pour faire ce que vous voulez, c'est la liberté de vous aider vous-même. Pourtant la liberté 1 n'est pas suffisante. Non seulement elle ne suffit pas aux millions de personnes qui utilisent des ordinateurs sans savoir programmer (ils ne savent pas comment étudier personnellement le code source et le modifier pour faire ce qu'ils veulent), mais elle n'est pas suffisante non plus pour nous, les programmeurs, parce qu'il y a tellement de programmes que personne n'a le temps de les étudier tous, de tous les maîtriser, pour pouvoir opérer des changements sur chacun d'eux.

Aussi nous devons pouvoir travailler ensemble. Et la liberté 3 est là pour ça. C'est la liberté d'aider à établir votre communauté en publiant une version modifiée. Ainsi d'autres gens peuvent utiliser votre version. C'est ce qui nous permet à tous de travailler, ensemble, à prendre le contrôle de nos ordinateurs et de nos logiciels.

Supposons qu'il y a un million d'utilisateurs et que tous veulent un certain changement dans un certain programme, pour qu’il fonctionne de telle ou telle manière. Eh bien, parmi ce million de personnes, par chance, il y en aura mille qui sauront programmer. Tôt ou tard une dizaine d’entre elles liront le code source du programme, opéreront le changement et publieront la version modifiée qui fera ce qu'elles veulent. Et il y a un million d'autres personnes qui voudront la même chose et utiliseront la version modifiée. Elles obtiendront toutes le changement qu'elles veulent, car certaines d'entre elles l'auront fait.

Avec la liberté 3, une poignée de gens peut faire le changement qui devient alors disponible pour beaucoup d'autres. Et de cette façon, n'importe quelle collectivité d'utilisateurs peut prendre le contrôle du logiciel. Que se passe-t-il si un groupe de personnes veut un changement, mais qu'aucune d'elles ne sait programmer ? Supposez qu'il y ait seulement 500 personnes et, parmi elles, aucun programmeur. Maintenant, supposez qu'elles soient 10 000, mais que ce soit des commerçants qui ne savent pas programmer. Bien, avec le logiciel libre ils peuvent toujours se servir des libertés 1 et 3. À eux tous, ils peuvent collecter une certaine somme d'argent. Et celle-ci une fois rassemblée, ils peuvent aller voir un programmeur ou une entreprise et demander : « Combien prenez-vous pour faire ce changement particulier et quand pouvez-vous le faire ? »

Et s'ils n'aiment pas ce que cette entreprise particulière propose, ils peuvent aller en voir une autre et demander : « Combien prenez-vous pour faire ce changement et quand pouvez-vous le faire ? » Ils peuvent choisir avec qui ils vont traiter. Et ceci montre que logiciel libre signifie marché libre pour toutes sortes de services, comme de forcer le programme à faire ce que vous voulez. Avec le logiciel non libre, le support technique est un monopole parce que seul le développeur possède le code source et peut opérer un changement, quel qu'il soit.

Si vous n'aimez pas ce que fait le programme, vous devez aller voir le développeur et le supplier : « Oh, s'il vous plaît, développeur, faites ce changement pour moi s'il vous plaît. » Et le développeur dira probablement : « Vous n'êtes pas assez important. Pourquoi m'intéresser à vous ? Il y en a seulement une centaine de milliers comme vous, pourquoi devrais-je m'en occuper ? » Mais avec le logiciel libre, il y a un marché libre pour le support technique. Si le développeur ne s'intéresse pas à votre demande, quelqu'un d'autre le fera, particulièrement si vous avez de quoi payer.

Il y a des utilisateurs de logiciel qui considèrent un support technique de qualité comme essentiel et ils sont disposés à payer pour l'obtenir. En général, puisque le support du logiciel libre est un marché libre, ces utilisateurs peuvent s'attendre à un meilleur rapport qualité prix pour ce service s'ils utilisent du logiciel libre.

Paradoxalement, quand vous avez le choix entre plusieurs programmes non libres pour faire le même travail et que, quel que soit votre choix, le support est toujours par la suite un monopole, vous avez un choix au départ, mais après vous êtes coincé. C'est le paradoxe du choix entre des monopoles. En d'autres termes vous avez le choix de qui sera votre maître. Mais le choix d'un maître n'est pas la liberté. Avec le logiciel libre, vous n'avez pas à choisir de maître. Vous choisissez la liberté et vous n'avez pas à choisir entre des monopoles. Au lieu de ça, vous continuez d'avoir la liberté, car tant que vous continuez à utiliser ce programme vous l'utilisez en toute liberté.

Je viens donc d'expliquer les libertés zéro, 1 et 3. Elles sont toutes nécessaires pour que vous puissiez avoir le contrôle de votre ordinateur. La liberté 2 est un sujet différent. C'est la liberté d'aider votre voisin en distribuant des copies des programmes aux autres. Elle est essentielle pour une raison éthique fondamentale, pour que vous puissiez vivre une vie honnête où vous aidez les autres.

La ressource la plus importante dans toute société est l'esprit de bonne volonté, la disposition à aider vos voisins. Naturellement, personne ne passe 100 % de son temps à aider ses voisins, personne ne fait à 100% ce que les autres demandent. Et c'est très bien ainsi parce que vous devez prendre soin de vous-même également. Mais seuls les gens extrêmement mauvais ne font rien pour aider leurs voisins. Et en fait normalement, dans la société, ces niveaux d'aide oscillent entre une valeur qui n'est pas nulle et une valeur qui n'est pas 100 %. Ces niveaux peuvent augmenter ou diminuer selon le changement social. Par la façon dont nous organisons la société, nous pouvons donner plus ou moins d'incitations aux gens pour qu'ils aident leur voisin et qu'ils s'entraident, et ces changements de niveaux font la différence entre une société vivable et une jungle où chacun s'entre-dévore. Ce n'est pas par accident que les principales religions du monde, depuis un millier d'années, incitent les gens à aider leurs voisins en encourageant un esprit de bienveillance, de bonne volonté envers leurs compagnons les êtres humains.

Qu'est-ce que ça signifie quand de puissantes institutions de la société se mettent à dire que le partage avec votre voisin est mauvais ? Elles découragent les gens de s'entraider en réduisant le niveau de coopération. Elles empoisonnent cette ressource essentielle. Qu'est-ce que ça signifie quand elles annoncent que vous êtes un pirate lorsque vous aidez votre voisin ? Elles disent que partager avec votre voisin est l'équivalent moral d'une attaque de bateau. La morale est à l'envers, parce qu'attaquer des bateaux est vraiment, vraiment mauvais alors qu'aider votre voisin est bon et doit être encouragé. Qu'est-ce que ça signifie quand elles mettent en place de dures punitions pour les gens qui partagent avec leurs voisins ? Quel degré de peur faudra-t-il atteindre pour empêcher les gens d'aider leurs voisins ? Vous voulez vivre dans une société plombée par ce niveau de terreur ? La seule façon d’appeler ce qu'elles sont en train de faire, c'est « campagne de terreur ». Dans deux pays (jusqu'à présent), en Argentine et ensuite en Allemagne, ces entreprises – les développeurs de logiciel non libre – ont lancé des menaces publiques de viol en prison pour l'usage de copies illicites de logiciels. La seule façon d'appeler ça, quand des gens en menacent d'autres de viol, c'est « campagne de terreur ». Nous devons mettre fin à ce terrorisme, immédiatement.

Pourquoi ai-je dit que la liberté 2, la liberté d'aider votre voisin, est nécessaire pour vivre une vie honnête ? Parce que si vous avez accepté une licence sur un programme non libre, vous avez dans une certaine mesure participé au mal. Vous vous êtes mis en mauvaise passe du point de vue moral. En utilisant un programme qui ne vous donne pas la liberté 2, la liberté d'aider votre voisin, vous vous êtes potentiellement placé devant un dilemme moral. Cela peut ne jamais se produire, mais dès que quelqu'un viendra vous demander « Je pourrais en avoir une copie ? », vous serez pris dans un dilemme moral où vous devrez choisir entre deux maux. L'un est de faire une copie pour aider votre voisin, mais alors vous violez la licence, et l'autre est de respecter la licence, mais alors vous êtes un mauvais voisin. Tous deux sont mauvais, donc vous devez choisir le moindre mal. Le moindre mal à mon avis, c'est de partager avec votre voisin et de violer la licence, puisque votre voisin le mérite ; à supposer que cette personne n'ait rien fait de mal, ne vous ait pas maltraité, elle mérite votre coopération. Par contre celui qui a toujours essayé de vous séparer de vos voisins fait quelque chose de très, très mal et ne mérite pas votre coopération. Alors, si vous devez faire quelque chose de mal, autant le faire à quelqu'un qui le mérite.

Cependant, une fois que vous aurez reconnu ça, une fois que vous aurez réalisé qu'utiliser ce programme non libre vous expose à choisir entre deux maux, ce que vous devriez vraiment faire, c'est refuser de vous placer dans cette situation, en refusant d'utiliser ce programme non libre, en refusant de posséder ce programme non libre. Si vous êtes déterminé à n'utiliser et à ne posséder que du logiciel libre, alors vous ne vous placerez jamais devant ce dilemme moral. Puisque si jamais votre ami vous demande une copie du programme, vous pourrez dire  « Bien sûr ! » et cela ne sera pas mal, parce que « logiciel libre » signifie que vous pouvez en distribuer des copies. Cela signifie que vous n'avez pas promis de refuser de partager avec les autres. Vous pouvez partager et il n'y a rien de mauvais là-dedans. Ainsi, une fois que vous avez compris qu'utiliser et posséder un programme non libre signifie se placer potentiellement devant un dilemme moral, vous lui dites non. De cette façon vous évitez le dilemme moral et vous restez en position de pouvoir vivre une vie honnête ; vous n'allez pas vous retrouver obligé de faire quelque chose de mal.

Une fois, j'assistais à une conférence de John Perry Barlow. Il a demandé à ceux qui n'avaient aucune copie illicite de logiciel de lever la main. Et une seule personne dans l'assistance a levé la main, c'était moi. Voyant ça, il a dit : « Oh, vous naturellement. » Il savait que toutes mes copies étaient des copies licites, autorisées, parce que les programmes étaient tous du logiciel libre. Les gens qui faisaient des copies de mes programmes étaient tous autorisés à les faire et à me donner une copie des leurs. Et toutes mes copies étaient licites.

La police de l'information, qui essaie de mettre des gens en prison quand ils ont des copies illicites, fait quelque chose de mal. Ce qu'elle fait est illégitime, ce que heu… ceux qu'on appelle… NASSCOM, ce qu'ils font est mal, mais en même temps je ne veux pas avoir à ramper furtivement pour vous donner des copies de logiciel. J'utiliserai plutôt du logiciel libre et je pourrai rester debout, même si la police me regarde. Je peux vous en donner une copie et je n'ai pas à être effrayé. En choisissant le logiciel libre, nous ne vivons pas dans la crainte. Voilà donc le pourquoi des quatre libertés qui définissent le logiciel libre. La liberté zéro, c'est la liberté d'exécuter le programme comme vous le souhaitez, la liberté 1, celle de vous aider vous-même en étudiant le code source et en le modifiant pour faire ce que vous voulez, la liberté 2, celle de distribuer des copies à d'autres, et la liberté 3, celle d'établir votre communauté en publiant une version améliorée afin d'aider les autres utilisateurs.

Cela dit, aucune n'a à voir avec le prix. « Libre » ne signifie pas que vous pouvez obtenir le logiciel gratuitement. En fait, il est parfaitement légitime que les gens en vendent des copies ; c'est un exemple de la liberté 2. La liberté 2, c'est la liberté de faire des copies et de les distribuer à d'autres ; ça inclut de les vendre si vous le souhaitez. Vous êtes libre de faire des copies et de les vendre. Il est vrai que typiquement les gens ne paieront pas cher leurs copies parce qu'ils savent qu'ils peuvent trouver ailleurs quelqu'un qui leur en donnera une. Ils pourraient payer un certain prix, vous savez, si le prix est assez bas, s'il est plus facile pour eux de payer que d'aller chercher ailleurs et se donner du mal pour se procurer une copie gratuite. Il y a des gens qui vendent des copies et qui gagnent de l'argent avec. Mais ils ne peuvent généralement pas rançonner les utilisateurs en leur extorquant beaucoup d'argent dur à gagner, parce qu'à ce moment-là les utilisateurs se redistribueront les copies entre eux. Ils feront cet effort. Donc le logiciel libre ne peut pas être utilisé pour extorquer l'argent des autres au point de nuire à la société. Mais cela ne signifie pas que l'argent ne change jamais de main. Cela ne signifie pas la gratuité. Parfois en Inde, les gens se réfèrent au logiciel Mukth ou Swatantra pour souligner que nous ne parlons pas de gratuité. Mais c’est vrai, l'économie que les utilisateurs peuvent faire en n'étant pas obligés de payer la licence peut être suffisante pour les encourager à utiliser l'ordinateur dans un pays qui compte beaucoup de gens pauvres, parce que les copies licites des logiciels peuvent coûter plus cher que l'ordinateur.

L'ordinateur peut coûter ceci et les copies licites des logiciels peuvent coûter cela. Bon nombre de gens en Inde auraient peut-être les moyens de se payer un ordinateur, mais probablement pas les logiciels parce qu'ils peuvent tout juste se permettre de payer l'ordinateur. Aussi, en Inde, le logiciel libre peut faire une grande différence en ce qui concerne le nombre de personnes qui peuvent posséder un ordinateur et le faire fonctionner. Nous ne le voyons pas encore, parce que bon nombre de gens en Inde utilisent des copies illicites. Je ne pense pas que ce soit mal, mais nous pouvons voir que les développeurs de logiciel non libre tentent de rendre ceci impossible. Ils ont deux manières différentes de le faire. L'une est leur campagne de terreur – vous savez, la menace de violer les gens en prison. L'autre, les changements techniques qui peuvent empêcher les copies non autorisées de fonctionner, autrement dit l'obligation de s'inscrire pour que le logiciel fonctionne. Vous pouvez le voir dans Windows XP et il va y avoir davantage de mesures de ce type à l'avenir. Alors, ce à quoi nous pouvons nous attendre, c'est qu'il va devenir de plus en plus difficile de s'en tirer en utilisant des copies illicites. Et ça veut dire que l'usage de l'informatique en Inde court au désastre, comme les utilisateurs eux-mêmes. Leur train est sur une voie qui mène à la catastrophe. Ce que l'Inde doit faire, c'est s'efforcer de s'engager sur une autre voie, la voie du logiciel libre, la voie qui échappe à ce problème. Aussi chaque institution sociale en Inde, chaque organisme gouvernemental,6 chaque école, chaque organisation, doit travailler aussi vite que possible à faire passer les gens de la voie non libre à la voie libre.

Mais ce n'est pas ce qu'ils font. Et vous pouvez voir aisément, si vous regardez simplement autour de vous, qu'en Inde les organismes gouvernementaux utilisent la plupart du temps du logiciel non libre, et que les écoles en font autant. C'est une erreur terrible. C'est une politique idiote et désastreuse. Les gouvernements méritent à l'évidence d'utiliser du logiciel libre. Chaque utilisateur d'ordinateur mérite d'avoir les quatre libertés, et cela inclut les organismes gouvernementaux qui utilisent le logiciel. Mais quand il s'agit d'un de ces organismes, il a la responsabilité, le devoir de choisir du logiciel libre. Puisqu'il fait de l'informatique pour le public, c'est sa responsabilité de garder le contrôle de ses ordinateurs pour s'assurer que l'informatique qu'il fait est correcte. Il ne doit pas, ne peut pas légitimement permettre que le traitement des données tombe entre les mains du privé, laissant ainsi le privé prendre le contrôle de ce que font ses ordinateurs.

Je vois un grand nombre de gens qui se déplacent par ici, que se passe-t-il ?… Que se passe-t-il ?… Je ne peux pas vous entendre, le son est éteint apparemment…

[MOC] : Monsieur, nous recueillons les questions.

[RMS] : De toute façon j'espère que c'est fini maintenant. Je vais continuer. Ainsi les organismes gouvernementaux ont le devoir de s'assurer qu'ils continuent d’avoir le contrôle.

Ah je vois que vous recueillez déjà les questions. Mais je n'ai pas encore fini ! De toute façon… J'en suis probablement à la moitié. Bon, maintenant je comprends. Je vais continuer.

Parce que, souvenez-vous, si vous utilisez un programme non libre, vous ne savez pas vraiment ce qu'il fait et vous n'avez aucun contrôle sur ce qu'il fait vraiment. Vous ne pouvez pas dire s'il y a une porte dérobée [backdoor]. Il y a des gens qui suspectent Microsoft d'avoir mis une porte dérobée dans Windows ou d'autres logiciels. Nous ne savons pas, parce que nous ne pouvons pas voir le code source. Il n'y a aucun moyen de découvrir s'il y en a une. Et il est possible aussi que les employés de Microsoft l'aient fait sans qu'on le leur ait demandé. J'ai entendu dire que certaines personnes travaillant sur Windows XP ont été arrêtées, accusées de travailler pour une organisation terroriste et accusées d'avoir tenté de placer une porte dérobée. Cela veut dire que si vous utilisez du logiciel non libre, vous devez avoir peur que l'entreprise, c'est-à-dire le développeur, y mette une porte dérobée, et vous devez également avoir peur que certains développeurs y mettent secrètement une porte dérobée sans que l'entreprise le sache. En effet, puisque vous ne pouvez pas obtenir le code source, ni l'étudier ou le changer, vous êtes impuissants dans les deux cas.

Microsoft a fait une chose vraiment stupide, vraiment absurde. Ils ont soi-disant offert à divers gouvernements l'accès au code source. Mais ils l'ont fait d'une manière frauduleuse. Par exemple, ils ont offert au gouvernement indien l'accès au code source de Windows. Mais, cela ne signifie pas qu'ils ont offert une copie du code source au gouvernement indien. Oh que non ! Ils ont offert l'accès à un emplacement spécial du serveur, où quelques personnes choisies pourront se loguer et explorer les programmes pas à pas, pour soi-disant voir ce qui se passe dans le code source. Mais en aucune manière elles ne pourraient garantir que le code source qu'elles regardent sur le serveur est celui qui fonctionne sur leurs propres machines. Aussi tout cela est-il une supercherie, une plaisanterie. À part que la plaisanterie serait le fait du gouvernement indien s'il disait oui à ce projet.

Et de toute façon, même en admettant qu'une organisation obtienne l'accès au code source, si la vôtre n'y a pas accès, cela ne vous aide pas.

Chaque école d'Inde doit utiliser du logiciel libre. Ceci pour que leur éducation fasse des enfants d'Inde des utilisateurs du libre. Vous voyez, former ces enfants à devenir des utilisateurs de logiciels non libres les met sur la voie de la catastrophe. Aussi les écoles doivent-elles éduquer ces enfants à l'utilisation du libre.

Cela ne devrait pas vous surprendre que Microsoft offre des copies gratuites de Windows aux écoles d'Inde. Ils le font pour la même raison que les fabricants de cigarettes offraient des paquets gratuits aux enfants. Ils essaient de rendre les enfants dépendants. Ils ne le font pas pour être utiles à quiconque, ils le font pour avoir plus d'emprise sur ces enfants. Ainsi, ils demandent aux écoles de devenir les instruments du maintien de cette emprise. Ceci ne devrait pas vous étonner. Si vous comparez Microsoft à d'autres formes de colonialisme, vous y verrez beaucoup de similitudes. Parce que, voyez-vous, le logiciel non libre est un système colonialiste. Au lieu d'avoir un pays qui colonise les autres, ce sont diverses sociétés qui tentent de coloniser le monde entier. Elles utilisent pour cela des tactiques de division et de conquête, en maintenant l'usager dans la division et l'impuissance. Et si vous y réfléchissez, c'est ce que fait un programme non libre. Il maintient les utilisateurs dans la division et l'impuissance. Division parce qu'on vous interdit de distribuer des copies aux autres, on vous interdit d'aider votre voisin. Et impuissance, parce qu'on ne peut pas obtenir le code source ni le modifier. Avec cette politique de division et de conquête, vous constatez aussi l'utilisation systématique des [élites]7 locales pour maintenir tous les autres dans le droit chemin. Par exemple, Microsoft fait des offres tarifaires spéciales à ceux qui semblent être particulièrement influents, pour obtenir d'eux qu'ils utilisent Windows et ainsi maintenir tout le monde dans le droit chemin. Les gouvernements sont utilisés de cette façon. Et les écoles sont utilisées de cette façon. Les écoles d'Inde doivent rejeter le logiciel non libre, refuser d'être utilisées pour maintenir la population dans le « droit chemin » de la domination des développeurs de logiciel non libre.

Mais il y a deux raisons encore plus fondamentales pour lesquelles les écoles d'Inde doivent exiger du logiciel libre. La première raison, c'est la pédagogie. Quand les enfants atteindront l'adolescence, certains vont être fascinés par les ordinateurs. Ils vont vouloir tout apprendre sur ce qui se passe à l'intérieur. Ils vont vouloir apprendre comment le programme marche. S'ils utilisent du logiciel non libre, le professeur devra leur dire : « Désolé, vous ne pouvez pas apprendre ça, je ne peux pas l'apprendre non plus. C'est un secret. Personne n'a le droit d'apprendre ça. » Le logiciel non libre interdit l'éducation. Mais avec le logiciel libre, le professeur peut dire : « Allez-y. Voici le code source de ce programme. Lisez-le. Vous pouvez apprendre. Alors, maintenant que vous avez lu le code source, essayez de faire une modification, essayez de faire une petite modification dans ce programme. Puis essayez d'en faire d'autres. Essayez de modifier ce programme. » Et de cette façon, les élèves qui sont fascinés par les ordinateurs apprendront à écrire de bons logiciels.

Pour autant que je sache, certains sont nés avec une aptitude pour la programmation ; ils sont nés avec une intelligence qui se développe dans le sens d'une aptitude à programmer. Ce seront des programmeurs naturels. Mais écrire un logiciel compréhensible, clair, est quelque chose qui s'apprend. C'est une question de jugement. On l'acquiert en lisant beaucoup de code source et en modifiant bon nombre de programmes. On apprend ainsi ce qui rend un programme facile à comprendre et facile à modifier. Chaque fois que vous essayez de lire un programme et que celui-ci présente une partie difficile à comprendre, vous apprenez que ce n'est pas la bonne façon d'écrire un code clair. Le logiciel non libre ne vous aide pas à faire ça. Le logiciel non libre vous maintient dans l'obscurité. Mais si les écoles d'Inde passaient au logiciel libre, alors elles pourraient donner aux élèves l'occasion d'apprendre à être de bons programmeurs ; d'apprendre de la même manière que je l'ai fait moi-même. Dans les années 70, j'ai eu une opportunité particulière. J'ai travaillé au laboratoire d'IA du MIT. Et là, nous avions notre propre système d'exploitation en temps partagé, qui était un logiciel libre. Nous partagions avec tout le monde. En fait, nous étions enchantés chaque fois que quelqu'un était intéressé par une partie de ce système. Nous étions enchantés chaque fois que quelqu'un voulait nous rejoindre en l'utilisant, puis en aidant à le développer. Et ainsi j'ai eu l'occasion de lire tous ces différents programmes – qui faisaient partie du système – et de les modifier. Et en faisant ça encore et encore, pendant des années, j'ai appris à être un bon programmeur. J'ai dû aller dans un endroit particulier sur terre pour en avoir l'opportunité, qui était très peu courante, très rare. Aujourd'hui n'importe quel PC fonctionnant avec le système d'exploitation GNU + Linux vous la donnera. Chaque école d'Inde équipée d'un ordinateur peut donner à ses étudiants cette même opportunité que je n'ai pu avoir qu'au MIT.

Les écoles doivent donc utiliser du logiciel libre dans l'intérêt de la pédagogie. Mais il y a une raison encore plus sérieuse : les écoles ne sont pas censées enseigner seulement des faits ou des techniques, mais sur un plan plus fondamental elles sont censées enseigner l'esprit de bonne volonté, l'habitude de coopérer avec les autres. Ainsi les écoles doivent avoir une règle : « Si tu apportes un logiciel en classe, tu n'as pas le droit de le garder pour toi. Tu dois laisser les autres enfants le copier. » Une règle de bonne citoyenneté. Naturellement, l'école doit la mettre elle-même en pratique. Donc l'école ne doit introduire en classe que du logiciel libre. Les logiciels qui tournent sur les ordinateurs de la classe doivent tous être libres, et de cette façon les écoles pourront enseigner la bonne citoyenneté.

Il y a trois semaines – non, c'était il y a deux semaines – quand j'ai rencontré le Dr Kalam et que je lui ai expliqué pourquoi il faut que les écoles se servent de logiciel libre et à quel point le logiciel non libre est un système colonial, j'ai été vraiment enchanté parce qu'il l'a compris immédiatement. Il a reconnu l'analogie. Il a compris comment les puissances coloniales ont essayé de recruter les élites comme auxiliaires afin de maintenir le reste de la population dans le droit chemin. Et le plus délicieux était que plusieurs personnes de chez Microsoft attendaient pour le voir juste après. Je suis sûr que, lorsqu'il a parlé avec elles, cette comparaison lui est venue à l'esprit pendant qu'elles essayaient de le convaincre de faire telle ou telle chose en lui offrant quelque pot-de-vin pour qu'il contribue à maintenir l'Inde dans le droit chemin. Ce qui s'est passé au cours de cette réunion, naturellement je ne le sais pas ; parce que je n'étais pas là, à sa réunion avec Microsoft. Mais je suis sûr que cette analogie lui a traversé l'esprit. Cela aura eu un certain effet. En tout cas j'espère que ça aura un certain effet sur vous ; j'espère que si quelqu'un vous invite, en tant qu'élite du peuple indien, à contribuer au maintien de l'Inde dans le droit chemin, vous comprendrez qu'il est de votre devoir de dire non ; j'espère que si quelqu'un vous invite à rejoindre le mouvement du logiciel libre – où ensemble, nous tissons notre propre code – vous comprendrez que c'est une façon de mettre un terme au colonialisme.

Quand vous entendrez quelqu'un vous dire « Quoi ?! Nous avons un bureau en Inde ; nous avons dépensé un million de dollars par an pour payer quelques personnes en Inde. Est-ce que ça ne rend pas légitime le fait de coloniser le reste de l'Inde ? » vous reconnaîtrez à quel point c'est stupide – Les Britanniques employaient aussi des gens en Inde, mais ça n'a pas fait du colonialisme une bonne chose, ça ne l'a pas rendu légitime ni éthique. Parce que chaque utilisateur d'ordinateur mérite la liberté.

Je viens d'expliquer pourquoi il faut que le logiciel soit libre. Que faisons-nous pour ça ? Je pensais à ces questions en 1983 et j'étais arrivé à la conclusion que le logiciel devait être libre ; que la seule manière de vivre dans la liberté était d'exiger du logiciel libre. Mais qu'est-ce que je pouvais faire pour ça ? Si vous voulez faire tourner l'ordinateur que vous venez de vous procurer, c'est d'un système d'exploitation que vous avez besoin en premier lieu. Et en 1983, tous les systèmes d'exploitation pour ordinateurs modernes étaient non libres. Ils étaient privateurs8. Qu'est-ce que je pouvais donc faire ? La seule façon de faire fonctionner l'ordinateur moderne qu'on s'était procuré était de signer un contrat où l'on promettait de trahir ses voisins. Quelle alternative pouvait-il y avoir ? La seule façon d'avoir une alternative, la seule manière d'utiliser un ordinateur en toute liberté, était d'écrire un logiciel d'exploitation libre. Alors j'ai décidé de le faire. J'étais développeur de systèmes d'exploitation, j'avais les qualifications pour entreprendre ce projet. J'ai donc décidé que j'écrirais un système d'exploitation libre ou que je mourrais en essayant – vraisemblablement de vieillesse, parce qu'à ce moment-là le mouvement du logiciel libre n'en était qu'à ses débuts et n'avait aucun ennemi ; nous avions juste beaucoup de travail devant nous. J'ai décidé de développer un système d'exploitation libre qui serait semblable à Unix, pour qu'il soit portable et que les utilisateurs d'Unix trouvent facile de migrer vers ce système qui leur donnait la liberté.

Je me suis dit qu'en le rendant compatible avec un système populaire existant, nous aurions plus d'utilisateurs et qu'ainsi la communauté du libre, le « monde du Libre », se développerait davantage. Et j'ai donné au système le nom de GNU, qui signifie « GNU N'est pas Unix » [GNU's Not Unix]. C'est une manière humoristique de donner crédit aux idées d'Unix. C'est un acronyme récursif, une façon traditionnelle pour les programmeurs de s'amuser et de donner crédit en même temps. De plus, le mot GNU est utilisé dans bon nombre de jeux de mots. C'est un mot auquel est associé pas mal d'humour, ce qui fait de lui le meilleur mot possible pour tous les usages. Je dois expliquer que GNU (gnou) est le nom d'un animal d'Afrique. Cet animal est notre symbole. Donc, si vous voyez un animal à cornes souriant associé à nos logiciels, c'est un gnou. Il y a vingt ans et un mois, en janvier 1984, j'ai cessé mon travail au MIT et commencé à développer le système GNU. Je n'ai pas tout fait moi-même, naturellement ; j'ai aussi essayé de recruter d'autres gens pour m'aider. Et progressivement, au cours des années, de plus en plus de gens m'ont rejoint. Pendant les années 80, nous n'avions que quelques morceaux du système GNU. Certains de ces morceaux étaient de grande qualité, alors les gens les prenaient et les installaient sur leurs systèmes non libres. Par exemple l'éditeur de texte GNU Emacs et le compilateur C de GNU. C'était des programmes que les gens faisaient tourner même sur leur système Unix non libre. Mais notre but véritable n'était pas simplement d'avoir quelques programmes de grande diffusion. Le but était de faire un système complet, afin de pouvoir rejeter les systèmes non libres ; rejeter le logiciel non libre, nous sortir de l'esclavage du logiciel non libre. Ainsi nous avons continué à combler les brèches du système, et au début des années 90 il ne restait plus qu'une seule lacune importante, le noyau.

En 1991 en Finlande, un étudiant d'université a écrit un noyau libre et l'a publié sous le nom de Linux. En fait, en 1991 il n'était pas libre. Au commencement il a été publié sous une licence un peu trop restrictive qui ne répondait pas aux critères du libre. Mais en 1992, l'auteur a changé sa licence et l'a rendu libre. À ce moment-là il est devenu possible de prendre le noyau et de l'adapter à la brèche du système GNU pour faire un système complet, le système qui est une combinaison de GNU et de Linux. Le système d'exploitation GNU + Linux a maintenant des dizaines de millions d'utilisateurs.

Malheureusement la plupart d'entre eux ne savent pas qu'à la base c'est le système GNU. Ils pensent que le système entier est Linux. C'est le résultat d'une confusion. Les gens qui ont associé Linux et le système GNU ne se sont pas rendu compte qu'ils avaient utilisé Linux pour combler cette brèche. Ils pensaient qu'ils partaient de Linux et lui ajoutaient tous les autres composants dont ils avaient besoin pour en faire un système complet. Tous ces autres composants étaient pour l'essentiel le système GNU, mais ils ne l'ont pas compris. Ils ont pensé qu'ils partaient de Linux et qu'ils le transformaient en système complet. Ils ont ainsi commencé à parler du système entier en l'appelant Linux, alors qu'en réalité c'était plus GNU qu'autre chose. Le résultat, c'est la confusion que vous voyez aujourd'hui. Beaucoup de gens, quand ils parlent du système GNU, l'appellent Linux. De fait, si vous entendez quelqu'un parler de Linux, à moins qu'il ne parle d'un système embarqué, il est à peu près sûr qu'il désigne le système GNU avec Linux en plus. Mais parfois il parle d'un système embarqué, et là peut-être qu'il désigne effectivement Linux, puisque dans ces systèmes les gens utilisent parfois Linux tout seul, sans le reste du système d'exploitation. Vous n'avez pas besoin d'un système d'exploitation complet dans un ordinateur embarqué.

Donc il y a beaucoup de confusion. Quand les gens disent Linux, ils désignent parfois un système d'exploitation complet que vous pourriez faire tourner sur un ordinateur de bureau ou sur un serveur, et parfois le noyau seul, qui suffit à un simple ordinateur embarqué. Donc, si vous voulez éviter de jeter la confusion dans la tête des gens, vous devez distinguer les deux, utiliser différents noms pour différentes choses. Quand vous parlez du noyau, s'il vous plaît appelez-le « Linux ». Il a été écrit par une personne qui l'a nommé Linux. Nous devons utiliser le nom qu'il a choisi. Quand vous parlez du système d'exploitation, c'est surtout GNU. Et quand j'ai commencé à le développer, je l'ai nommé GNU. Je vous serais donc reconnaissant d'appeler cette combinaison GNU + Linux. Tout ce que je demande, c'est une mention équivalente pour les principaux développeurs du système, le projet GNU. Nous avons écrit la plus grande partie du système et nous avons eu la vision d'ensemble de ce travail. Donnez-nous mention équivalente, je vous en prie. Nous en avons besoin. Nous en avons besoin pour pouvoir propager notre philosophie. Apprenez aux gens les raisons éthiques, les questions sociales et politiques qui sont en jeu ici, apprenez-leur pourquoi il faut que le logiciel soit libre.

Une dernière chose. On m'a suggéré de parler des questions relatives au matériel. Parfois, les gens demandent si le matériel doit également être libre. Eh bien, la question n'est pertinente qu'en partie. Parce que voyez-vous, qu'est-ce que ça signifie pour le logiciel, d'être libre ? Cela veut dire que vous êtes libre de l'utiliser si vous le souhaitez, d'étudier ce qu'il fait, de le modifier, de le copier et d'en distribuer des copies, y compris des copies modifiées. Mais voyez-vous, les utilisateurs ordinaires de matériel ne peuvent pas le copier. Il n'existe pas de copieur. Si je suis un utilisateur ordinaire de logiciel, je peux le copier, puisque chaque ordinateur est un copieur de logiciel. Et je n'ai besoin d'aucun équipement spécial pour pouvoir étudier les plans et les changer. J'ai juste à comprendre la programmation ; alors je peux lire le code source aussi longtemps que le développeur me laissera en avoir une copie. Mais le matériel n'est pas fabriqué par copie. Vous ne faites pas des ordinateurs en les mettant dans un copieur universel. Vous savez, si quelqu'un vous donne un puce de CPU (unité centrale), vous ne pouvez pas copier ce morceau de CPU pour faire un autre morceau identique. Personne ne peut faire ça. Il n'existe pas de copieur. Maintenant que diriez-vous de le modifier ? Personne ne peut modifier une puce. Une fois qu'elle est fabriquée, elle est fabriquée. Il y a des puces qui sont personnalisables, mais entrer dedans réellement et modifier le matériel de la puce, c'est impossible. Pour ce qui est des puces personnalisables… Supposez que ce soit une puce programmable par microcode ou un réseau de portes programmables. Le microcode est un logiciel, ce n'est pas du matériel. Le modèle de circuit de portes qu'on met dans une puce contenant un réseau de portes programmables est logiciel ; ce modèle peut être facilement modifié et peut facilement être copié parce que c'est un logiciel.

Cela va vous aider à comprendre comment ces questions se rattachent à diverses situations. Le modèle que vous chargez dans quelque chose est du logiciel. L'objet physique en revanche, c'est le matériel. L'objet physique ne peut pas être simplement copié, il doit être fabriqué dans une usine.

Mais parfois, il y a une question différente qui est pertinente pour le matériel : est-ce que les spécifications sont disponibles ? Vous savez, est-ce que le public peut obtenir des copies des plans pour découvrir ce que fait le matériel ? Eh bien, c'est nécessaire dans certains cas pour que vous puissiez rechercher les dispositifs malveillants. C'est un problème assez nouveau. Dans le passé, au niveau du contrôleur de disque – vous savez c'est une carte, vous la placez dans votre ordinateur – vous n'aviez pas trop à vous inquiéter de savoir s’il y avait un danger que ce contrôleur de disque soit muni d'un dispositif malveillant, Parce qu'il n'y avait pas vraiment de danger. Il n'y avait pas beaucoup de possibilités d'y mettre un dispositif malveillant. Comment auraient-ils envoyé une commande à votre contrôleur de disque dans ce cas ? Ce n'était pas vraiment faisable. Mais maintenant que le matériel devient de plus en plus puissant, il peut être placé dans des endroits de plus en plus petits. Il est devenu possible à quelqu'un de mettre des portes dérobées dans votre contrôleur de disque, dans votre unité centrale, dans votre carte réseau. Comment savez-vous que votre carte réseau n'est pas équipée pour recevoir quelque message secret qui va lui dire de se mettre à vous espionner d'une façon ou d'une autre ?

Ainsi ces problèmes commencent à prendre de l'importance. À mesure que le matériel devient suffisamment puissant, nous devons exiger de pouvoir contrôler ce qui est vraiment à l'intérieur. Mais vous l'avez remarqué, pas mal de choses à l'intérieur de ce prétendu matériel sont en fait du logiciel. Beaucoup de contrôleurs de périphériques de nos jours comportent des ordinateurs. Il y a des logiciels à télécharger dans cet ordinateur. Et ils devraient être libres. C'est la seule façon de pouvoir leur faire confiance, de pouvoir dire qu'ils ne contiennent pas une porte dérobée pour nous espionner. Ce doit être des logiciels libres.

Donc, pour répondre d'une manière générale à la question « Cela s'applique-t-il aux ordinateurs embarqués ? »… Après réflexion j'en suis arrivé à la conclusion que si de nouveaux logiciels peuvent être chargés dans cet appareil, c'est manifestement un ordinateur. C'est vraiment un ordinateur pour vous, l'utilisateur. Et ça veut dire que vous devez avoir la liberté d'en contrôler les logiciels. Mais plus récemment a surgi une autre question : si l'appareil peut parler au réseau, que ce soit Internet ou le réseau de téléphonie mobile ou quoi que ce soit d'autre, s'il peut parler à d'autres personnes, vous ne savez pas s'il n'est pas en train de vous espionner. Aussi doit-il être équipé de logiciel libre. Considérez par exemple les téléphones portables. Vous ne devez pas utiliser de portable à moins que son logiciel ne soit libre. Il y a vraiment des fonctionnalités malveillantes dangereuses dans les téléphones portables. Il y en a en Europe dans lesquels un dispositif permet à quelqu'un d’ordonner à distance au téléphone de vous écouter. C'est vraiment un dispositif espion dans le sens le plus classique. Et si vous avez un portable, est-ce que vous savez qui pourrait vous espionner à tout moment ? Vous ne le savez pas, à moins que le logiciel à l'intérieur ne soit libre. Aussi, devons-nous exiger du logiciel libre dans ces téléphones. C'est l'une des raisons pour lesquelles je ne m'en servirai jamais – parce que le réseau de téléphonie mobile est un dispositif de surveillance. Il peut enregistrer là où vous allez. Il peut garder une trace permanente des endroits où vous avez été à chaque instant. Et je pense que c'est une telle menace contre notre liberté que nous devons refuser d'avoir ces téléphones. Ils sont dangereux, c'est du poison.

Quoi qu'il en soit, je voudrais vous renvoyer pour plus d'information au site web du projet GNU, www.gnu.org et également au site web de la Free Software Foundation of India, qui est FSFIndia. Non désolé… Non, c'est… C'est gnu.org.in. C'est ça, gnu.org.in. Si vous voulez aider le logiciel libre en Inde, contactez s'il vous plaît la FSF-India pour que vous puissiez unir vos efforts avec d'autres et, ensemble, vous battre pour la liberté.

Maintenant, je vais prendre les questions.

Oh là là, que j'ai envie de dormir !

[MOC] : Monsieur, nous allons lire les questions recueillies dans l'assistance une à une, et… alors vous pourrez y répondre.

[RMS] : OK, si une personne pose des questions multiples, s'il vous plaît posez-les moi une seule à la fois.

[MOC] : Oui, Monsieur.

La première question vient de H. Sundar Raman. Voici sa question : « Quelle est la différence entre le logiciel open source et le logiciel libre ? »

[RMS bâille]

[RMS] : Je dois d'abord expliquer que logiciel libre et open source ont chacun deux sens liés.

Je suis en train de regarder une image de moi en miroir, alors il m'est difficile de savoir où mettre les mains.

Chacun se rapporte à une catégorie de logiciel et chacun se rapporte à un mouvement philosophique. Donc il y a le logiciel libre – le logiciel libre est une catégorie de licences. Et il y a le mouvement du logiciel libre qui est une philosophie. De même l'open source est une catégorie de licences et une philosophie. Pour pouvoir comparer le mouvement du logiciel libre et le mouvement open source – pardon – nous pouvons comparer le logiciel libre comme catégorie de logiciel à l'open source comme catégorie de logiciel. Et nous pouvons comparer la philosophie du mouvement du logiciel libre à la philosophie open source. Et ce qu'on constate, c'est qu'en tant que catégories de logiciel ils sont très proches. L'open source est une catégorie de licences tout comme le logiciel libre. Ces deux catégories sont définies par un langage très différent, mais jusqu'ici, sur le plan pratique, elles sont assez semblables. Il y a quelques licences qui respectent les critères de l'open source, mais pas ceux du logiciel libre. Elles ne sont cependant pas souvent utilisées. Alors, si vous savez qu'un programme est open source et que vous ne savez rien d'autre, vous ne pouvez pas être sûr que ce soit un logiciel libre, mais c'en est probablement un.

Dans le même temps, il y a deux mouvements et leurs philosophies ; et elles sont très éloignées l'une de l'autre. Dans le mouvement du logiciel libre nous avons une philosophie basée sur la liberté et l'éthique. Nous disons que vous devez exiger le logiciel libre pour pouvoir vivre une vie honnête et avoir la liberté d'aider les autres. Le mouvement open source a été précisément formé pour éviter de dire ça, pour rejeter nos principes éthiques. Les gens du mouvement open source ne disent pas que vous devez exiger le logiciel open source. Ils disent qu'il peut être commode ou avantageux. Ils n'ont en vue que les valeurs pratiques. Ils disent qu'ils ont une conception supérieure… pardon, un modèle supérieur de développement, supérieur dans un sens technique, superficiel, c'est-à-dire qu'il produit habituellement un logiciel techniquement meilleur. Mais c'est tout ce qu'ils vous diront. Ils ne diront pas que c'est un impératif éthique ; que le code source du logiciel doit être ouvert ; que le logiciel à source fermée est une tentative de vous coloniser et que vous devez vous en échapper. Ils ne diront rien de ce genre. De fait, la raison d’être de leur mouvement, c'est précisément de ne pas le faire, de le dissimuler. Et quand on en revient à la base philosophique, ce qu'ils disent et ce que nous disons est aussi différent que le jour et la nuit. C'est pourquoi je suis toujours très malheureux quand on m'associe, moi ou mon travail, à l'open source.

Les gens qui ont développé le mouvement open source, les gens dont c'est la motivation, contribuent d'habitude à notre communauté parce que leur logiciel est habituellement libre. Et ce peut être une bonne contribution. Mais je suis complètement en désaccord avec leur philosophie. Je pense qu'elle est superficielle et je suis très malheureux quand les gens me collent leur slogan comme étiquette en donnant l'impression que je suis d'accord avec cette philosophie.

Question suivante, s'il vous plaît !

[MOC] : La question suivante vient d'Advait Thumbde. Sa question est : « La liberté de copier peut ne pas générer assez d'argent, qui est essentiel pour financer le développement technologique. Là où tant d'entreprises concurrentes… »

[interruption de RMS ] : Non. C'est faux. C'est faux ! L'argent n'est pas essentiel pour le développement technologique, pas dans le secteur du logiciel. C'est sans doute le cas dans d'autres secteurs, parce qu'ils sont beaucoup plus difficiles. Cela coûte beaucoup d'argent d'installer une usine pour construire du matériel. Oui, cela exige un investissement. Mais nous avons prouvé dans le mouvement du logiciel libre, nous avons montré que nous pouvions développer un large éventail de logiciels sans aucun investissement. Nous l'avons prouvé en le faisant. Il y a environ un million de personnes qui contribuent au logiciel libre et la plupart d'entre elles sont bénévoles. De grands programmes ont été développés par des bénévoles, ce qui montre qu'il n'est pas nécessaire de lever des fonds importants. Il n'est pas nécessaire d'avoir de l'argent. Cela dit, je suppose que ces bénévoles ont de quoi manger, qu'ils ne sont pas à la rue. Ils doivent avoir un travail. Je ne sais pas en quoi consiste ce travail, mais souvenez-vous que si vous considérez l'emploi en informatique, seule une petite fraction concerne la programmation. Il s'agit essentiellement de concevoir des logiciels personnalisés, dont seule une petite fraction est destinée à être publiée, à être mise à la disposition du public. Donc il y a beaucoup d'emplois qui permettent aux gens de gagner leur vie. Ainsi ils peuvent passer une partie de leur temps libre à développer notre logiciel libre. Cela ne pose pas de problème du moment que nous en développons beaucoup. Et c'est ce que nous faisons. De fait, nous savons que ce n'est pas un problème.

Ainsi, les gens qui disent que le logiciel libre ne fonctionnera pas parce que nous ne pouvons pas mobiliser de fonds sont comme ceux qui disent que les avions ne voleront pas parce que l'antigravité n'existe pas. Eh bien, les avions volent, ce qui prouve que nous n'avons pas besoin de l'antigravité. Je devrais également préciser qu'il y a aussi des personnes qui sont payées pour développer des logiciels libres. L'argent provient de diverses sources. Parfois ces personnes adaptent des programmes libres existants pour satisfaire des demandes de clients. Parfois elles obtiennent des financements des universités ou des gouvernements.

Les gouvernements financent une grande partie du développement logiciel dans le monde. Sauf cas exceptionnel où le logiciel doit être tenu secret, ce pourrait tout aussi bien être du logiciel libre. Ainsi nous devons propager cette idée dans le milieu universitaire : quand vous avez le projet de développer un logiciel, ce doit être un logiciel libre. C'est une exigence éthique que de le rendre libre.

Enfin, j'ajouterai que vous pouvez très bien souhaiter gagner de l'argent en faisant quelque chose ; vous pouvez souhaiter une activité lucrative. En soi, ce n'est pas mauvais. Mais si cette activité elle-même est mauvaise, vous ne pouvez pas la justifier en disant : « Je vais gagner de l'argent. » Vous savez, les [escrocs]9 gagnent de l'argent, mais ce n'est pas une excuse pour voler les gens. Le logiciel non libre est un poison du point de vue de l'éthique. C'est une magouille pour maintenir les gens divisés et impuissants, c'est une forme de colonisation et c'est mal. Ainsi, quand quelqu'un me dit « Je vais rendre mon programme privateur pour pouvoir gagner de l'argent et travailler à plein temps pour développer le programme », je lui réponds « C'est comme de dire que vous allez voler des gens pour pouvoir gagner de l'argent, ce qui vous permettra de voler à plein temps. C'est très mal et vous ne devez pas le faire. »

Je crois que des gens qui contribuent à la société ont… Eh bien, les gens qui apportent une contribution à la société, c'est une bonne idée si nous les récompensons pour ça. Et les gens qui font des choses nuisibles à la société, c'est une bonne idée si nous trouvons des moyens de les punir. Cela encouragera les gens à faire des choses qui contribuent à la société et à ne pas faire de choses qui lui nuisent. Et donc les gens qui développent du logiciel libre devraient être récompensés et ceux qui développent du logiciel non libre devraient être punis, puisque le logiciel libre est une contribution à la société, mais que le logiciel non libre est une magouille pour la coloniser. Et cela mérite une punition, pas une récompense. Une autre manière d’envisager la question est de se rendre compte qu'utiliser un programme non libre revient à être idiot, ou à manquer d'éthique, ou les deux. Ce qui signifie que, pour moi, ce programme non libre pourrait aussi bien n'être rien, parce que je ne vais pas l'utiliser. Les gens qui ont une éthique, les gens qui tiennent à vivre une vie honnête vont le rejeter de toute façon. Ainsi, ce programme ne sera utile qu’aux nigauds qui n'ont pas une conscience très développée. Qu’est-ce qu’il y a de bon là-dedans ? Supposons qu'une personne me dise : « Je peux seulement développer ce programme si je le rends privateur ; c'est la seule manière pour moi de gagner assez d'argent pour passer du temps à le développer. » Je ne vais pas lui répondre que ça ne peut pas être vrai, parce que je ne connais pas sa situation. Si elle dit qu'il n'y a aucun moyen de développer ce programme à moins d'être payée à plein temps et qu'elle ne sait pas comment faire autrement que de le rendre privateur, je ne vais pas lui répondre que c'est faux, parce qu'elle connaît sa propre situation. Voici ce que je lui répondrai : « Je vous en prie, ne développez pas le programme. Développer le programme de cette façon serait mauvais ou serait nocif. Ainsi ça serait mieux si vous ne le faisiez pas du tout. Faites autre chose puisque dans quelques années, tôt ou tard, quelqu'un d'autre sera dans une situation différente, quelqu'un qui pourra écrire ce programme sans exercer de domination sur les utilisateurs. Et nous pouvons nous permettre d'attendre quelques années pour garder notre liberté. La liberté vaut bien un petit sacrifice. Nous pouvons attendre quelques années. »

Bien, question suivante.

[MOC] : Sa question suivante est : « Toutes les œuvres intellectuelles, les livres par exemple, sont privatrices. N'est-ce pas justifié dans le cas du logiciel ? »

[RMS] : Eh bien, il fait erreur. Il y a beaucoup de livres libres aussi. En fait, de plus en plus, le mouvement se propage aux livres pour les rendre libres ; libres comme en liberté, je veux dire. Nous avons commencé à le faire dans les années 80. Tous les manuels des logiciels GNU qui ont été développés dans le cadre du projet GNU sont libres dans le sens où vous êtes libres de les copier. Ils ne sont pas gratuits, du moins pas toujours. Nous imprimons des copies et nous les vendons ; et nous les vendons plus chères que le coût de production parce que nous essayons de récolter des fonds. Vous savez, bien sûr, que ce surcoût provient de ce que nous essayons de récolter des fonds substantiels avec ces livres. Mais vous êtes libres de les copier et de les modifier. Et vous pourriez même obtenir le code source par Internet, le code source des livres. Et nous ne sommes plus les seuls. Il y a maintenant un mouvement pour les manuels libres. En fait, il y a des projets en Inde et ailleurs pour développer du matériel pédagogique libre et le mettre à disposition des écoles. Du matériel pédagogique libre pour un cycle d'étude complet . Parce que le matériel pédagogique doit être libre. Aussi je suggère que vous regardiez le site gnowledge.org. C'est comme knowledge, mais orthographié avec un g au lieu d'un k. Et vous verrez l'une de ces initiatives mise en œuvre par le Pr Nagarjuna à Mumbai.

En outre, je dois mentionner l'encyclopédie libre Wikipédia. C'est la plus grande encyclopédie de l'Histoire. Je crois qu'il y a maintenant plus de cent soixante mille rubriques, bien plus que n'importe quelle autre encyclopédie ait jamais eues ; environ deux fois plus. Et ceci a été fait en quelques années seulement ; par le public.

Donc, si nous devions croire à ces menaces… Quand les gens disent que la seule manière de développer ces choses, la seule manière d'écrire et de mettre à jour une encyclopédie est privatrice, ils brandissent une menace. Ils disent que si vous n'acceptez pas de renoncer à votre liberté, vous n'aurez pas d'encyclopédie, vous n'aurez pas de logiciel. Ils nous demandent de nous sentir impuissants et désespérés. C'est vraiment stupide.

[RMS bâille]

Question suivante.

[MOC] : La question suivante est de Ganapathy. Il dit : « Je crois que le plus grand défi pour le logiciel libre est d'obtenir des logiciels de qualité, ce qui signifie des développeurs de qualité. Mais ils doivent avoir suffisamment de motivation pour y consacrer du temps et de la réflexion. Aussi que suggérez-vous pour avoir des développeurs enthousiastes ? »

[interruption de RMS] : Ce n'est pas vrai.

Vous savez, je n'arrête pas de recevoir des questions de gens qui croient à des choses manifestement fausses, de gens qui font des suppositions sur notre communauté et qui font des suppositions erronées.

En réalité, le logiciel libre a une réputation de haute qualité. C'est justement pour ça que le système d'exploitation GNU + Linux a commencé à percer à la fin des années 90. Les gens ont découvert qu'il fonctionnait pendant des mois. Ils constataient que le seul moment où le système plantait, c'était quand l'alimentation tombait en panne. Et ceci diffère du logiciel non libre, qui souvent est assez peu fiable. On voit constamment des gens faire l'hypothèse idiote que le logiciel libre ne peut pas fonctionner. Ils ne savent rien, mais ils inventent tout. Pourquoi ça ? D'après moi, c'est que le logiciel non libre est si courant qu'ils supposent qu'il doit bien fonctionner.

Pensez-vous que les gens utilisent Windows parce qu'il est bon ? Quelle idée ridicule. Ils utilisent Windows parce que les autres utilisent Windows et c'est la seule raison. En fait non, ce n'est pas la seule raison… Ils utilisent Windows parce qu'il vient avec leurs ordinateurs. Ce sont les deux raisons. La seule raison pour laquelle… une solution de rechange survit, c'est qu'elle est meilleure. Le logiciel libre doit être deux fois meilleur pour que les gens qui ont l'esprit pratique le choisissent. Naturellement, vous pouvez entendre mon mépris dans le terme « esprit pratique ». Ce sont des gens qui ne donnent pas de valeur à leur liberté. Ce sont des idiots. Un idiot et sa liberté se séparent très vite. Mais il y a beaucoup d'idiots, en particulier dans de nombreuses organisations où les gens croient qu'ils ne sont pas censés prêter attention à l'éthique ni à la liberté ; qu'ils sont seulement censés prêter attention aux aspects pratiques à court terme, ce qui est une recette pour prendre de mauvaises décisions, pour causer du tort à la société. Mais c'est comme ça qu'ils sont. Alors pourquoi ces mêmes personnes choisissent-elles parfois le logiciel libre ? Parce qu'il a des avantages pratiques. Par exemple, il est puissant et il est fiable.

Question suivante.

[MOC] : La question suivante est de Subramani : « Distribuer le logiciel sous forme d'exemplaires gratuits [free] est favorable à l'utilisateur. Mais est-ce favorable aux entreprises ? Ne pensez-vous pas que cela déséquilibrera l'équilibre économique dans le logiciel ? »

[RMS] : C'est tout à fait idiot. Tout d'abord, rappelez-vous, j'ai expliqué que le logiciel libre est une question de liberté, pas de prix. « Libre » ne signifie pas que le logiciel est gratuit. Mais parfois il l'est. D'autre part, vous pouvez quelquefois avoir du logiciel non libre gratuit. Cela ne le rend pas légitime sur le plan éthique, parce qu'il piétine toujours votre liberté. Il vous maintient toujours divisés et impuissants, même si vous n'avez pas à payer. Les écoles d'Inde peuvent se procurer Windows gratuitement, mais il reste nuisible. Ainsi la question n'est pas le prix. La question est de savoir si le logiciel respecte votre liberté. Et ce… cette… idée qu'il y a un certain type d'équilibre… Je ne sais pas du tout de quoi il veut parler, mais rappelez-vous que si une entreprise gagne de l'argent en mettant les gens sous sa coupe, elle est mauvaise. Cela doit prendre fin. Il y a beaucoup d'entreprises qui fonctionnent en maltraitant les gens. Ces entreprises sont mauvaises ; elles n'ont pas le droit de poursuivre leur activité ; tout ce qu'elles méritent, c'est qu'on y mette un terme. Je ne dirai pas que le logiciel non libre soit le plus grave des problèmes. Parce que, vous savez, le travail des enfants est très courant, mais je pense que la plupart du temps il ne consiste pas à développer du logiciel libre ; je pense qu'il s'agit d'autre chose. Il y a de nombreuses façons pour une entreprise de nuire à la société par son activité. Et nous devons mettre un terme à cela.

Ou prenez Coca-Cola, qui empoisonne les gens tout en asséchant leur approvisionnement en eau. Et pas seulement ça : ils assassinent les organisateurs de syndicats en Colombie. C'est pourquoi il y a un boycott mondial de la société Coca-Cola. La société est d'ailleurs poursuivie aux États-Unis pour des accords avec des paramilitaires pour ces assassinats en Colombie.10 Alors rejoignez le boycott. N'achetez pas de Coke.

J'ai dit ça surtout pour illustrer le fait qu'il y a de nombreuses façons pour une entreprise de ne pas se conduire de manière éthique. Et les entreprises qui font ça n'ont pas le droit de continuer. Elles ne sont pas légitimes et elles ne doivent pas être traitées comme telles. Le développement de logiciel non libre en est un exemple car, quoi que fasse le programme, la licence met les utilisateurs sous contrôle, et ce n'est pas bien.

Question suivante.

[MOC] : Windows gère les langues régionales et ça aide le peuple d'Inde, mais GNU n'a pas cette fonctionnalité. Quelle est votre suggestion à cet égard ?

[RMS] : Il se trompe. Vous savez, je n'ai jamais donné de discours avec autant de questions dont les énoncés sont faux et critiquent le mouvement du logiciel libre de manière inexacte. Vous savez, je peux comprendre qu'on ne sache pas. Chacun d'entre nous est né complètement ignorant. Et chacun d'entre nous, sur chacun des sujets particuliers, commence sans rien savoir. Mais pourquoi les gens d'ici sont-ils si prêts à faire des suppositions quand ils ne savent pas ? Pourquoi ne pas admettre que vous ne savez pas ? Pourquoi ces gens croient-ils des choses qui sont fausses ? Ils n'ont clairement aucune bonne preuve pour ça.

En réalité, Windows… ne gère pas toutes les langues indiennes. Par contre, le logiciel libre le fait. Et ce n'est pas seulement Windows d'ailleurs, il y a beaucoup d'autres logiciels non libres. Et « non libres » signifie que vous ne pouvez pas les modifier, alors qu'avec le logiciel libre vous pouvez le faire. Si vous voulez qu'un programme gère votre langue préférée et qu'il n'est pas libre, vous devez mendier et supplier le développeur de s'occuper de votre problème. Mais si le programme est un logiciel libre, vous n'avez pas besoin de prier quiconque. Vous pouvez simplement le faire vous-même. Et c'est ce qui se produit. En Inde, les gens adaptent GNU/Linux aux diverses langues indiennes. S'ils ne l'ont pas encore fait pour votre langue préférée, vous pouvez lancer le projet. Vous n'êtes pas impuissants. Lancez le projet pour soutenir votre langue préférée. Vous savez, même les tribus peuvent traduire le système dans leur langue. Vous n'êtes pas obligés d'avoir celui d'une des langues identifiées comme principales. Pour obtenir du support dans le logiciel libre, vous devez juste être volontaire pour faire le travail.

Question suivante s'il vous plaît.

[MOC] : Monsieur, nous voudrions savoir combien de temps nous pouvons continuer cette session de question/réponse ?

[RMS] : Eh bien, j'ai certainement encore quinze minutes.

[MOC] : Oui Monsieur.

[RMS] : Oh, je vous en prie, ne m'appelez pas Monsieur. Je crois à l'égalité. Et c'est en quelque sorte mauvais pour moi que vous m'appeliez Monsieur. Ça pourrait m'inciter à me surestimer en voyant à quel point je suis important. Et ce serait mauvais pour moi comme pour vous.

La chose importante ici c'est la liberté. Je suis juste son représentant.

[MOC] : La question suivante est de Vijay Anand. La voici : « Il y a beaucoup de distributions incompatibles GNU/Linux. Est-ce un désavantage pour le mouvement du logiciel libre ? »

[RMS] : Bon, ne surévaluons pas les conséquences de leur incompatibilité. Au niveau du code source ils sont presque tous… ils sont compatibles pour l'essentiel, à moins que vous ne fassiez des choses très particulières. Vous n'avez pas besoin de vous inquiéter des différentes versions quand vous écrivez du code source. Il donnera des binaires différents et des paquets différents, mais ce n'est pas un gros problème. Ma réponse est donc : non ce n'est pas un inconvénient majeur. Naturellement vous savez, avoir différentes versions d'un système peut être bon si différents utilisateurs les veulent. Maintenant voyez le contraste entre ça et le genre d'incompatibilité que nous avons, que nous trouvons dans le monde non libre. Vous constaterez que Microsoft fabrique des incompatibilités monstrueuses dans chaque version de ses systèmes. Ils fabriquent délibérément des formats incompatibles avec tous les autres et des protocoles incompatibles avec tous les autres. Ils essayent toutes sortes de manières d'empêcher les autres d'interopérer avec eux. Et chaque version d'un logiciel de Microsoft est susceptible d'être incompatible avec la version précédente.

Ils imposent l'incompatibilité parce qu'ils sont puissants et qu'ils pensent pouvoir s'en tirer avec ça. Au contraire, dans le monde du logiciel libre, nous les développeurs, nous n'avons pas le pouvoir. Si je prends une décision que vous n'aimez pas, vous n'êtes pas coincé. Puisque vous avez le code source, vous pouvez le changer ; vous pouvez changer n'importe laquelle de mes décisions. À supposer que je prenne la décision de vous imposer l'incompatibilité, vous pourriez changer mon programme. Vous pourriez le prendre et le modifier pour le rendre compatible avec tout ce que vous voulez. Même si je prenais une décision que vous n'aimez pas pour une autre raison, vous pourriez toujours le modifier. Quelle que soit la raison pour laquelle j'aurais pris la décision, quelle que soit la raison pour laquelle vous ne l'aimez pas ; vous pouvez le changer. Je n'ai donc aucun pouvoir sur vous quand je développe du logiciel libre. Vous, les utilisateurs, vous êtes aux commandes de votre logiciel. Ainsi il fera généralement plus ou moins ce que vous voulez. Mais les développeurs de logiciel non libre, eux, ont du pouvoir sur vous et vous êtes coincés par leurs décisions.

Question suivante s'il vous plaît.

[MOC] : La question suivante est de Rakesh : « Puisque le code source du logiciel libre est disponible, il est possible à un cracker d'introduire un code malveillant dans le programme et de distribuer des binaires de manière à ce qu'il ressemble à l'original. Est-ce un inconvénient pour le mouvement du logiciel libre ? »

[RMS] : Eh bien, nous avons des moyens de nous protéger contre ça. Par exemple vous pouvez obtenir vos copies d'un distributeur sûr. Nous utilisons des signatures numériques pour signer notre code et nous utilisons… vous savez, une clé de chiffrement avec une somme de contrôle [checksum]11. De sorte que vous pouvez voir la somme de contrôle que le développeur publie et ainsi obtenir l'assurance que la version que vous avez est la bonne.

[silence]

[MOC] : La question suivante est de Krishnan. Voici la question : « Quand pensez-vous que GNU HURD sera disponible au public pour un usage normal ? »

[RMS] : J'ai appris que je ne devais pas tenter de le prévoir. Il y a quelques mois les développeurs de HURD ont conclu qu'ils devaient vraiment changer pour un autre micronoyau. Et ça va demander une somme de travail considérable. Je suis… Je suis déçu par ce retard. Mais apparemment ça veut dire qu'il y aura un certain retard.

Question suivante s'il vous plaît.

[MOC] : La question suivante est de Manu Méta… Métallurgie. Voici la question : « Est-ce que développer du logiciel libre sur des systèmes d'exploitation non libres est mauvais ? »

[RMS] : Eh bien, ce n'est pas exactement mauvais. Mais il est idiot d'utiliser un système d'exploitation non libre, parce que vous ne pouvez pas vivre en liberté aussi longtemps que vous le ferez. Et votre logiciel, bien qu'il soit libre, n'est pas une contribution au monde du Libre s'il ne fonctionne pas sur un système d'exploitation libre.

Et en particulier vous devez vous méfier de la plateforme Java de Sun. N'utilisez jamais cette plateforme pour développer du logiciel. Du moins pas pour développer du logiciel libre, parce que le programme Java de Sun n'est pas libre. Il y a les plateformes Java libres, mais elles n'ont pas toutes les possibilités de celle de Sun. Aussi le danger, si vous utilisez cette plateforme, c'est que vous pourriez utiliser certaines fonctionnalités que nous n'avons pas encore sans même le savoir. Vous ne le remarquerez pas parce que ça marchera. Ça marchera sur la plateforme de Sun. Si bien que, plusieurs mois plus tard, vous essayerez le programme sur notre plateforme et vous constaterez que vous avez effectué pendant des mois un travail basé sur une fonctionnalité que nous n'avons pas. Et vous direz : « Oh ! Ça demanderait tellement de travail pour le refaire que je ne peux pas. » Si bien que votre programme ne fonctionnera sur aucune plateforme libre. Du moins pas avant des années, pas avant que nous ayons implémenté une solution de rechange pour cette fonctionnalité. Ainsi vous devriez utiliser notre plateforme Java libre pour développer. Utilisez la plateforme Java de GNU, le compilateur Java de GNU et la bibliothèque GNU Classpath. N'utilisez pas les bibliothèques Java de Sun, elles ne sont pas libres. De cette façon, si vous commencez à utiliser une fonctionnalité standard de Java que nous n'avons pas, vous le découvrirez immédiatement. Et vous pourrez choisir une autre manière de résoudre le problème sans perdre de temps.

Question suivante s'il vous plaît.

[MOC] : « Quel est pour vous le plus grand obstacle pour les logiciels libres en Inde ? Comment détruire ces obstacles ? »

[RMS] : Je dirais que le plus grand obstacle pour les logiciels libres en Inde, en ce moment, c'est la tendance des organismes gouvernementaux et des écoles à utiliser du logiciel non libre. Il est essentiel de convaincre les écoles d'enseigner aux enfants de l'Inde à se développer en liberté. Quand Windows… Microsoft offre gratuitement aux écoles des copies de Windows, les écoles doivent dire : « Nous n'allons pas les accepter. Nous n'allons pas contribuer à inculquer la dépendance à nos gamins. »

Question suivante s'il vous plaît.

[MOC] : La question suivante est de Pankaj. Voici la question : « Est-ce que la disponibilité du code source le rend plus vulnérable aux attaques ? »

[RMS] : Eh bien, en pratique, c'est exactement l'inverse. Notre logiciel est beaucoup plus sécurisé. Les gens font diverses spéculations autour du pourquoi de cet état de fait. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est ce que les gens observent.

Question suivante.

[MOC] : C'est la dernière question de cette conférence.

[RMS] OK.

[MOC] : Voici la question : « Il y a eu une récente polémique à propos de la GFDL. De quoi s'agissait-il ? »

[RMS] : Désolé, polémique à propos de quoi ?

[MOC] : La GFDL, la licence.

[RMS] : Ah, il y a des gens qui n'aiment pas certaines des dispositions de la GFDL. La GFDL a introduit des sections non techniques ; des sections qui donnent vos opinions à propos de… de votre secteur d'activité, etc. et qui sont invariantes. Elles ne peuvent pas être modifiées ni enlevées. La GFDL dit en fait que le contenu principal de l'œuvre est conçu pour des manuels ; et aussi que la documentation qui l'accompagne doit être libre, mais que vous pouvez également avoir des sections exposant une opinion ; ces dernières n'ont aucune documentation, mais donnent votre avis à propos de l'éthique de votre secteur d'activité, etc. Elles doivent être conservées et ne peuvent pas être modifiées. Il y a des gens qui pensent que c'est une mauvaise chose. Je pense qu'ils sont trop rigides dans leur compréhension des libertés. Les gens ont besoin de la liberté de modifier la substance technique de l'œuvre et la GFDL leur donne cette liberté. Mais avoir l'opinion de l'auteur quelque part n'interfère pas avec votre utilisation d'une œuvre technique et n'interfère pas avec votre modification de l'œuvre pour faire un travail technique différent.

C'était donc la dernière question, alors que je suppose que nous avons fini.

[MOC] : Nous vous remercions, Monsieur, pour cette session motivante et intéressante…

[RMS interrompt] : S'il vous plaît, ne m'appelez pas Monsieur.

[MOC] : Nous vous remercions, Richard pour cette session motivante et intéressante. Vous nous avez apporté un immense savoir sur le logiciel libre et levé de nombreux doutes concernant le mouvement. Nous comprenons maintenant parfaitement l'importance d'utiliser le logiciel libre. Nous sommes sûrs que cela vous aura gagné de nombreux disciples dans la communauté des étudiants de notre université. Nous nous trouvons nous-même…

[RMS interrompt] : Joyeux hacking et bonne nuit.

[MOC] : Très bonne nuit à vous, Monsieur.

[applaudissements]


Contributeurs (par ordre alphabétique) : Krishnan, Saravana Manickam, Vijay Kumar, Vimal Joseph.


Notes des relecteurs
  1.   MOC : ce sigle signifie probablement Maintenance Operations Center, la régie audio/vidéo.
  2.   « L'association ECE » organise entre autres des conférences et des séminaires techniques inter-départements destinés à des écoles d'ingénieurs disséminées sur tout le territoire de l'Inde, d'où l'utilité de la vidéo-conférence.
  3.   En anglais, le mot free veut dire libre, mais aussi gratuit, d'où la confusion possible.
  4.   Il y a une incertitude à cet endroit de la transcription.
  5.   Le « TiVo » est un enregistreur vidéo numérique pour les programmes de télévision, qui fonctionne aux États-Unis et dans plusieurs autres pays.
  6.   Government agency. Il en existe dans chaque État indien aussi bien qu'au niveau fédéral. La traduction communément admise, « organisme gouvernemental », a cours au Québec. C'est une entité juridique distincte, relevant d'un ministère, chargée d'une mission d'intérêt public et financée au moins en partie (sauf exception) sur fonds publics. Il est toutefois probable que RMS voulait aussi parler des services gérés directement par les ministères, ce qui correspondrait à la notion française d'« administration publique » (relevant de la comptabilité publique).
  7.   Il manque un mot à cet endroit de la transcription. Nous l'avons remplacé par « élite ». Ce mot semble revenir plusieurs fois dans la suite du discours, avec la même incertitude.
  8.   Autre traduction de proprietary : propriétaire.
  9.   Ici encore, il manque un mot dans la transcription.
  10.   Il y a une incertitude à cet endroit de la transcription.
  11.   Cette phrase est très approximative, la transcription étant incomplète à cet endroit.